Inteview sur BFM - IA et souveraineté numérique

Par: Abilian 18/12/2023 Médias Tous les articles

Stefane Fermigier, fondateur d'Abilian et co-président du CNLL, a été interviewé sur BFM Business, dans le cadre de l'émission "Tech & Co" diffusée le 16 décembre 2023, pour parler de l'IA et de la souveraineté numérique.

Frédéric Simottel: Bienvenue à notre discussion sur l'Open Source avec nos invités. Permettez-moi de vous les présenter. Bonjour Jean-Charles Bordes, directeur en charge des revues et des offres de Smiles, un leader français et européen dans l'univers de l'Open Source. À côté de vous, nous avons Stéfane Fermigier, président d'Abilian, et Pierre Baudracco, président de BlueMind. Bonjour à tous les deux et merci de nous rejoindre. Aujourd'hui, nous aborderons l'Open Source, notamment à travers une récente cartographie sur son utilisation en France. Un sujet brûlant est celui de l'Open Source en relation avec l'IA générative. Pierre, pouvez-vous nous expliquer comment l'Open Source contribue au développement plus rapide et plus sécurisé de l'IA?

Pierre Baudracco: Bien sûr. L'Open Source est fondamentalement axé sur le partage des connaissances et des technologies. Dans des domaines nouveaux ou existants, cela nous permet de construire collectivement des bases communes, telles que des protocoles, des formats et des standards, évitant ainsi de redévelopper la même technologie individuellement. Tout comme en science, partager les éléments de base et les connaissances accélère le processus de développement.

Frédéric Simottel" Et dans le contexte de l'IA, notamment l'IA générative, comment voyez-vous son évolution?

Pierre Baudracco: L'IA progresse extrêmement vite. Par exemple, le développement de modèles comme Chat GPT a radicalement changé notre quotidien en un an. L'Open Source joue un rôle crucial en évitant la redondance et en se concentrant sur l'innovation et la valeur ajoutée.

Frédéric Simottel" Stéfane, avez-vous des ajouts à faire concernant l'IA et l'Open Source?

Stéfane Fermigier: Absolument. En IA, il y a deux niveaux : les technologies et les modèles. La majorité des technologies d'IA, notamment les moteurs d'IA, sont développées en Open Source. Un exemple notable est scikit-learn, un logiciel français qui est devenu une référence en machine learning et qui est utilisé dans presque tous les projets d'IA en entreprise et dans la recherche. Concernant les modèles d'IA, il existe un débat sur le type de licences à appliquer. Certains acteurs, malgré un nom suggérant l'ouverture, ne le sont pas vraiment. D'autres modèles sont plus accessibles, certains avec des restrictions d'utilisation, et d'autres peuvent être utilisés de manière moins restrictive par les entreprises.

Frédéric Simottel" Il semble y avoir une distinction entre les origines des technologies et l'accessibilité actuelle des modèles.

Stefane Fermigier Exactement. Bien que certaines technologies d'IA aient commencé sous une forme ouverte, comme les modèles basés sur Transformer, l'accès aux modèles finis est souvent restreint, posant des questions sur la véritable ouverture de ces ressources.

Frédéric Simottel: Jean-Charles, en parlant d'évolution, pensez-vous que les freins à l'utilisation de l'Open Source soient liés au fait que, bien qu'un modèle soit présenté comme ouvert, on découvre qu'il y a des restrictions?

Jean-Charles Bordes: En effet, même avec une grande variété de modèles disponibles dans des domaines comme l'IA Générative, il est crucial de comprendre comment les adopter et les utiliser efficacement. L'Open Source est un facteur clé de souveraineté et de croissance économique, ainsi qu'un moyen d'améliorer l'expérience utilisateur. Le défi majeur réside dans la réponse à l'expérience utilisateur - c'est le véritable frein. Plus de deux tiers des entreprises utilisent l'Open Source principalement pour ses fonctionnalités, mais l'enjeu est de fournir une expérience utilisateur accessible et ergonomique.

Frédéric Simottel" Donc, Pierre, vous diriez que des aspects comme la stabilité et la sécurité sont essentiels pour les utilisateurs finaux de l'Open Source?

Pierre Baudracco: Absolument. La stabilité et la sécurité sont souvent citées comme des avantages de l'Open Source, mais elles peuvent également représenter des obstacles. Quand on parle de composants techniques, les professionnels apprécient la solidité et la fiabilité des technologies. Cependant, comme l'a mentionné Jean-Charles, quand on aborde le niveau de l'utilisateur final, l'Open Source doit encore progresser. Nous devons adapter nos approches pour répondre aux besoins et attentes des utilisateurs finaux, qui peuvent rencontrer des différences notables par rapport aux solutions traditionnelles. C'est un domaine où l'Open Source a besoin d'évoluer, comme le révèle l'étude.

Frédéric Simottel: En regardant l'étude, j'ai été surpris de constater que plusieurs organisations ressentent un manque de certification dans le domaine de l'Open Source. Stéfane, quel est votre point de vue sur ce sujet?

Stéfane Fermigier: Effectivement, l'étude a mis en évidence plusieurs lacunes, notamment en ce qui concerne les ressources humaines, les compétences et les profils. Il y a un besoin criant de formation, et parallèlement, les répondants ont souligné le besoin de certification. La mise en place de certifications Open Source est un débat ancien, remontant à la fin des années 90. Chaque éditeur ou fondation développant un logiciel tend à proposer ses propres certifications. Un autre enjeu concerne les certifications liées aux questions de sécurité et de confiance numérique. Récemment, en France et en Europe, on a débattu sur le fait que des exigences de certification trop élevées pourraient constituer un frein, en particulier pour les PME et les projets non-commerciaux dans le logiciel libre.

Jean-Charles Bordes: Pour ajouter à cela, il est essentiel de reconnaître le rôle des intégrateurs. La certification est importante pour garantir que les individus soient correctement formés à ces technologies.

Frédéric Simottel" Cela m'amène à ma question suivante concernant le rôle des partenaires. Environ 80% des organisations font appel à une entreprise de services du numérique (ESN) pour le développement, mais seulement 20% font appel aux éditeurs de solutions Open Source. Comment expliquez-vous cela, Jean-Charles?

Jean-Charles Bordes: Cette situation s'explique par le fait que les éditeurs Open Source n'ont pas une approche très proactive en matière de certification et d'accompagnement par le biais de services professionnels. L'Open Source est un écosystème composé d'éditeurs et d'intégrateurs, où ces derniers jouent un rôle crucial en termes de communauté, de certification, d'accompagnement et de formation. Les intégrateurs, en particulier, sont essentiels car ils permettent non seulement de certifier les produits, comme le fait Sensiolab avec Symfony, mais aussi d'accompagner et de former les collaborateurs des entreprises. Ils jouent un rôle fondamental dans le développement de produits enrichis sur la base de l'Open Source, contribuant ainsi à un service amélioré pour l'utilisateur final.

Frédéric Simottel: Pierre, cela signifie-t-il qu'un des aspects cruciaux sur lesquels nous devons travailler est la gouvernance de l'Open Source? Nous parlons de construire avec des briques Open Source, mais il s'agit aussi de construire un mur cohérent et solide.

Pierre Baudracco: Exactement. Utiliser l'Open Source ne se limite pas à assembler des briques ; il y a également des règles et des obligations légales à considérer. Un défi majeur est de s'assurer que nous utilisons correctement les composants Open Source et de comprendre leur impact sur nos produits finaux. Les grandes organisations mettent en place des Open Source Programme Offices (OSPO) pour gérer ces aspects.

Frédéric Simottel: Pour éviter l'anarchie qui a pu exister auparavant.

Pierre Baudracco: Oui, ces OSPO aident à structurer l'utilisation de l'Open Source, garantissant que chaque produit est construit correctement. En revenant sur ce que disait Jean-Charles, le manque de support côté éditeur est partiellement dû au fait que l'Open Source atteint désormais l'utilisateur final. Ce dernier a besoin de produits plus finis, « prêts-à-l'emploi », avec des choix préétablis. L'Open Source traditionnellement offrait des composants modulables, mais aujourd'hui, les utilisateurs finaux attendent quelque chose de plus packagé. Il y a un changement en cours dans cet équilibre, mais il reste des lacunes du côté des éditeurs. Il y a une confusion chez certains en demandant aux éditeurs Open Source de fournir les mêmes caractéristiques que celles des produits propriétaires.

Jean-Charles Bordes: Pierre, votre observation est pertinente. La flexibilité est l'un des avantages clés de l'Open Source, permettant de répondre précisément aux besoins de l'utilisateur final. En revanche, une solution propriétaire offre un modèle prédéfini auquel l'utilisateur doit s'adapter. L'Open Source offre la liberté de choisir et d'adapter, mais cela requiert des règles et un accompagnement pour exploiter pleinement cette richesse et construire une solution qui répond exactement aux besoins du client.

Frédéric Simottel: Stéfane, selon l'étude, il semble essentiel d'établir une véritable politique d'utilisation des logiciels libres, incluant l'achat de solutions et la participation aux projets Open Source. Il est crucial de contribuer à la communauté qui développe ces outils.

Stéfane Fermigier: Absolument. L'étude révèle qu'environ 80% des entreprises en France sont ouvertes ou très ouvertes à l'utilisation de l'Open Source, et ce chiffre monte à 90% pour l'administration publique. Rappelons qu'il y a 10 à 12 ans, nous étions loin de ces chiffres. Une autre statistique importante, issue d'autres études, est que 90 à 95% des logiciels utilisés mondialement contiennent une forme de logiciel libre ou Open Source. Il est donc dans l'intérêt des entreprises, qu'elles soient éditrices, fournisseurs de services, ou simplement utilisatrices, de continuer à utiliser mais aussi d'augmenter leur engagement envers l'Open Source. Et notre étude révèle, ce qui est très encourageant, que plus de 50% des entreprises ont au moins un collaborateur qui participe au développement Open Source, et qu'un tiers des entreprises adaptent le code source à leurs besoins internes ou pour créer de nouveaux produits ou services innovants.

Frédéric Simottel: Y a-t-il une crainte de perdre de la propriété intellectuelle en faisant cela?

Stefane Fermigier La clé est dans la stratégie, la politique et la gestion opérationnelle des projets Open Source au sein des entreprises, en particulier des grandes entreprises, comme le démontre notre étude. Il est essentiel d'avoir des experts, à temps plein ou polyvalents, pour gérer les aspects juridiques et techniques.

Frédéric Simottel" Dans le contexte actuel de l'IA et des cyber-attaques, les pouvoirs publics français et européens devraient-ils réguler et prendre en compte les spécificités de l'Open Source?

Pierre Baudracco: Il y a des initiatives en cours au niveau de la commission européenne et en France, mais il est crucial de se concentrer sur le partage et la construction commune au sein de l'écosystème Open Source. L'étude montre que seulement la moitié des entreprises et un tiers des services publics achètent des solutions ou des services Open Source, ce qui pourrait refléter une spécificité française. Les pouvoirs publics doivent s'engager davantage dans une véritable politique Open Source.

Frédéric Simottel" Un dernier mot pour conclure?

Jean-Charles Bordes: L'Open Source dépasse la simple technologie ; il s'agit d'un enjeu de souveraineté numérique et de confiance. Il est impératif que les pouvoirs publics saisissent cette opportunité.

Frédéric Simottel" C'est un élément essentiel pour relever les grands défis numériques, comme le souligne l'étude. Merci à tous les trois, Jean-Charles Bordes de Smile, Pierre Baudracco de Bluemind et Stéfane Fermigier d'Abilian, pour cette discussion enrichissante. Votre participation à Numéum et à d'autres initiatives montre votre engagement envers l'avancement de l'Open Source. Merci également pour votre implication dans le CNLL et le pôle Systematic.